Résumé :
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La vallée de Chevreuse a vu sa population se modifier en profondeur entre la fin des années 70 et l'époque actuelle. La proximité de Paris n'était alors que virtuelle. On n'appelait pas les habitants de cette région des banlieusards : la voie ferrée qui menait de Paris à Saint-Rémy-lès-Chevreuse était encore désignée sous le nom de Ligne de Sceaux. Elle avait été construite à l'origine pour mener les Parisiens le dimanche à la campagne ; Orsay était alors « la perle de la vallée de Chevreuse », et de multiples auberges parsemaient leur route. D'abord, le développement du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à Saclay donna une coloration particulière à la population qui habitait Gif-sur-Yvette, Orsay ou leurs environs. Ces nouveaux habitants détonnaient par rapport aux gérants de magasin, chauffagistes ou employés de sociétés de transports qui constituaient le fond de la population. Ces nouvelles familles se distinguaient par un ancrage politique profond — à gauche —, par une insatisfaction, une nervosité, surtout sensibles chez leurs enfants, avides de voyages, de lectures provocantes et de musiques revendicatives, autant de signes qui heurtaient la placidité de la population traditionnelle. Physiquement aussi, ils étaient différents. Leurs complets étaient taillés d'une façon plus stricte, leur coupe de cheveux était plus nette, ils portaient des pattes, des colliers de barbe, des complets en velours avec des pellicules sur les épaules, des sacs en bandoulière avec des fermoirs, des journaux bien pliés avec des caractères rouges, ils avaient des voix plus fortes, leurs phrases étaient plus longues et leurs rires plus clairs. Ils connaissaient le nom des cinéastes américains qu'ils prononçaient avec un accent bizarre de leur invention. Bref, en ce temps-là, la région leur appartenait.
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